vendredi 18 septembre 2009

Reconstruction : la désillusion

Un ouvrage collectif s'interroge sur l'efficacité de l'aide publique au Congo. Il conclut à l'échec de la communauté internationale et de Kinshasa. Et l'analyse.

Entretien

Précédé d’une réputation d’ouvrage d’exception, le dernier livre publié par le Musée royal de l’Afrique centrale (1) avait attiré la grande foule, jeudi à Bruxelles, pour une conférence de présentation organisée par le CREAC (Centre de recherche et d’expertise sur l’Afrique centrale). "La Libre Belgique" a interviewé le coordonateur de l’ouvrage, Theodore Trefon, directeur du CREAC et de la section Histoire du temps présent du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren.

De quoi parle l'ouvrage ?

Il analyse les grands investissements effectués par la communauté internationale depuis 2001 (NdlR, arrivée au pouvoir de Joseph Kabila) : réforme du secteur de la sécurité, de la justice, du contrôle macro-économique, décentralisation, codes forestier et minier, etc. Car depuis huit ans, le Congo est devenu un vaste laboratoire où toutes les alchimies se rencontrent pour ressusciter un cas d’école d’Etat failli. Le livre remet également en perspective le débat sur l’efficacité de l’aide publique puisque le constat est là : en 50 ans d’indépendance, il y a de moins en moins de développement. Il faut se demander si le modèle mis en œuvre est souhaité par la population congolaise et réaliste pour les dirigeants. Naïvement, mes collègues et moi faisons le bilan des efforts de réforme.

Et quel est-il ?

C’est un constat d’échec. Et d’échec partagé par la communauté internationale et par le Congo. Au passif de la première, il faut mettre l’absence de schéma directeur pour aider le Congo : chaque acteur a sa logique, son agenda, son mode de fonctionnement et il n’y a pas de cohésion entre eux. Pire : il y a compétition, voire sabotage. L’Union européenne est ainsi en faveur de la décentralisation prévue par la Constitution congolaise, la Banque mondiale est contre. Au passif, également, le fait que les acteurs internationaux envoient au Congo de plus en plus de jeunes technocrates qui ne connaissent pas les spécificités congolaises et mettent en œuvre des modèles "prêts-à-porter", mis au point pour d’autres pays.

Au passif de Kinshasa, il faut mettre le manque de volonté de réformer - voire le sabotage - des réformes. Comme le remarque un chercheur sénégalais, "les poissons ne peuvent pas allouer un budget pour l’achat de hameçons" ! Les Congolais impliqués dans le processus de réforme doivent en accepter la logique mais, en réalité, ils l’entravent pour rester incontournables. C’est renforcé par l’approche des bailleurs de fonds, qui fonctionnent par projets, gérés par des Congolais - qui veulent le renouvellement de leur contrat, donc que la situation se prolonge. Et c’est ainsi jusqu’au sommet du pouvoir. Au Kivu, maintenir un minimum d’instabilité, en finançant une milice, par exemple, permet de maintenir les flux financiers destinés à l’aide humanitaire et à la réforme du secteur de la sécurité. Même chose côté communauté internationale : la coopération au développement est aussi un business ; si l’Afrique atteint le développement, des milliers de consultants et experts seront au chômage...

Votre ouvrage est donc implicitement une critique des politiques de coopération ?

Je veux souligner tout de même qu’il y a beaucoup de bonne volonté ; nous critiquons seulement les méthodes de travail et les approches utilisées. Et, côté congolais, soulignons qu’une personne qui veut vraiment travailler en faveur des réformes n’a pas, les choses étant ce qu’elles sont, les moyens d’exiger la même chose de ses agents quand ils ne sont pas payés ou pas assez, ou trop tard.

Plus généralement, il y a quatre concepts différents de réhabilitation de l’Etat : le concept libéral veut qu’on aide le Congo pour des raisons humanitaires ; pour les Chinois, il faut un minimum d’infrastructures et de développement pour faire des affaires ; les neo-conservateurs américains veulent la disparition des Etats faillis parce que ce sont des foyers de chaos et de terrorisme. Enfin, il y a la théorie du complot, qui veut que l’Occident maintienne sciemment en l’état les 30 à 40 Etats faillis du monde (un milliard d’habitants) pour pouvoir dicter leur politique.

Votre ouvrage propose des pistes de solutions ?

Il n’est pas prescriptif. Mais je crois qu’il articule de manière éloquente ce que beaucoup de gens constatent mais n’osent pas dire : l’écart entre les objectifs de réforme et le cynisme de fait. Car, très souvent, on sait que ce qu’on décide va échouer mais on le fait quand même, pour des raisons politiques. Il faut souligner aussi que remplacer l’Etat ne rend pas service au Congo. On agit à la place des Congolais pour la santé, l’environnement... Cela affaiblit l’Etat parce que cela exonère les autorités de leurs responsabilités. Elles se contentent de coordonner et de maintenir les clivages entre les acteurs.

Marie-France Cros

(1) "Réforme au Congo (RDC) - Attentes et désillusions". Ed. MRAC/L’Harmattan, 30 euros.

© La Libre.be

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