mercredi 2 avril 2014

Cinq questions à Gaspard-Hubert Lonsi Koko

1. Que vous inspire l’initiative de la majorité présidentielle en RDC de changer le mode de scrutin des députés provinciaux, passant du suffrage universel direct au suffrage indirect ?

La sincérité démocratique et l’honnêteté intellectuelle supposent que l’on ne change pas les règles du jeu à l’approche des joutes électorales. À travers l’initiative de la majorité présidentielle, on est en train de revivre une sorte de « remake » du changement du mode de scrutin présidentiel des deux tours à un seul, dans la seule optique de permettre la réélection du candidat sortant. Plusieurs facteurs, par exemple d’ordre financier ou alors structurel, peuvent effectivement conduire à la modification du mode de scrutin. Mais au-delà de la confiance que l’on puisse accorder ou non à l’institution censée agir dans ce sens en cas de nécessité, les nouveaux dispositifs ne devront en aucun cas entrer en vigueur avant un délai raisonnable. Plus explicitement, en cas de modification du mode de scrutin, il vaudrait mieux que les nouveaux dispositifs ne s’appliquent pas aux prochaines élections provinciales.

2. Certains membres de l’opposition pensent qu’il s’agit  d’« un prétexte à une révision constitutionnelle plus large destinée à permettre au président Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de 2016 ». C’est aussi votre point de vue ? 

Une Constitution n’est pas un fourre-tout. La Loi fondamentale d’un Etat  définit les droits et les libertés des citoyens ainsi que l’organisation et les séparations du pouvoir politique. Elle précise, de ce fait, l’articulation et le fonctionnement des différentes institutions qui composent l’Etat. Or, il existe dans la Constitution congolaise des dispositifs qui n’y ont pas leur place, puisqu’ils relèvent des lois organiques et d’application. Cette anomalie nécessitera un jour, pour l’intérêt général, la modification du texte adopté le 18 février 2006. Dès lors que les faits précèdent la loi, la Constitution peut évoluer. Encore faut-il que cela ne se fasse pas chaque fois que les intérêts du pouvoir en place sont menacés. En ayant prévu des dispositifs bloqués, notamment l’article 220, le législateur avait prévu l’inconstitutionnalité de tout acte qui ne tiendrait pas compte de cette interdiction. Seule l’abrogation de l’actuelle Constitution peut permettre de passer outre les dispositifs non révisables. On ne pourra y parvenir que par coup d’Etat.

3. L’opposition parle d’un « coup d’Etat constitutionnel en préparation ». Partagez-vous cet avis ?

Je ne peux que partager l’avis de l’opposition, pour ce qui est du « coup d’Etat constitutionnel en préparation ». Mais une opposition crédible ne change pas d’avis et d’attitude au gré des intérêts politiciens. Or, en RD Congo, on constate que l’expression « bonnet blanc, blanc bonnet » illustre les liaisons dangereuses entre la majorité et l’opposition. Par conséquent, au lieu de se lamenter systématiquement face aux injustices et aux bidouillages de la Constitution pour des intérêts personnels, entre la complicité de quelques opposants et les membres de la majorité présidentielle, les peuple congolais doit avoir le courage d’assumer sa responsabilité en tant que souverain primaire.

4. Organiser un référendum pour modifier la Constitution ou changer le mode de scrutin des élections provinciales censées avoir lieu en 2015 serait sans doute  souhaitable. Comment interprétez-vous le flou artistique qu’entretient la majorité présidentielle à ce sujet ?

Tout le monde sait que la RD Congo est de nos jours dirigée grâce à une ambiguïté qui veut que la majorité présidentielle soit en réalité composée d’une minorité électorale. Dans une telle conjoncture, en organisant un référendum en vue d’adapter la Constitution à ses intérêts immédiats, le pouvoir en place à Kinshasa subira un désaveu cinglant. Le régime kabiliste a intérêt à s’appuyer davantage sur des institutions à sa solde pour consolider son pouvoir, plutôt que de scier la branche sur laquelle il est confortablement assis.

5. Ne craignez-vous pas que l’opposition s’incline devant la loi de la majorité et finisse par approuver cette initiative ?

Cette éventualité m’inquiète sérieusement. Comme à son habitude, dans sa plus grande majorité, l’opposition a grosso modo failli quant à la défense des intérêts du peuple congolais. Seul l’esprit de lucre guide ses actions. Tant que les populations congolaises ne comprendront pas qu’il faille renouveler complètement la classe politique congolaise, opposition et majorité comprises, elles se feront toujours rouler dans la farine. Ainsi la démocratie restera-t-elle une arlésienne, au détriment des institutions de la République. Il ne suffit donc pas de faire émerger de nouvelles coalitions, avec les mêmes opposants qui sont d’une manière ou d’une autre complices du régime en place, mais de soutenir des femmes et des hommes consciencieux en vue du triomphe de la démocratie, du progrès social et économique, de la sécurité et de la pacification, ainsi que du bonheur du peuple congolais. Je suis partisan d’un sursaut idéologique, d’une conjonction patriotique et citoyenne, de l’union des Congolais de l’intérieur et ceux de la diaspora, en vue d’une alternative crédible.

Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France

(*) Porte-parole du Rassemblement pour le Développement et la Paix au Congo (RDPC)