lundi 17 février 2014

Cinq questions à Gaspard-Hubert Lonsi Koko

1. François Hollande vient d’effectuer une visite d’Etat aux Etats-Unis, la première du genre depuis 18 ans. En tant qu’ancien cadre du parti socialiste français, comment analysez-vous aujourd’hui les relations entre la France et les Etats-Unis ?
La nouvelle géopolitique pousse les Américains et les Français à respecter leurs zones d’influence respectives, pour mieux faire face aux ambitions chinoises et à une éventuelle émergence de l’axe Sud-Sud. Il y a une évolution considérable, constate-t-on, par rapport à la présidence de Nicolas Sarkozy. A l’exception du couac syrien, le soutien américain apporté aux actions de la France au Mali et en Centrafrique en est l’illustration parfaite. Un autre exemple : vous aurez  remarqué que les Etats-Unis n’entravent jamais les initiatives françaises au Conseil de sécurité des Nations unies, par rapport à la catastrophique situation en cours dans ce grand territoire francophone qu’est la République Démocratique du Congo. Ces deux pays sont déterminés à garder leur rang, en tant qu’alliés de longue date, au plan mondial. Ils sont condamnés à s’entendre et à se coordonner.

2. François Hollande n’a pas apprécié que Barack Obama veuille consulter le Congrès sur le dossier syrien, alors que la France lui avait déjà apporté son soutien. Cela semble être la vraie raison de cette visite. Qu’en pensez-vous ?
Le contexte politique américain ne pouvait pas permettre à Barack Obama d’engager les troupes américaines en Syrie. Ainsi a-t-il été obligé de faire faux bond à la France plutôt que d’affronter le Congrès qui était défavorable au dossier syrien. Fort, d’une part, du fait que la pression diplomatique française a contraint la Syrie à revenir sur certaines positions et, d’autre part, avantagé par la maladresse américaine dans l’affaire des écoutes, François Hollande, en fin stratège, a su tirer habilement profit de la dette morale que son homologue américain avait désormais envers lui, de la même façon que les Américains ont toujours rappelé aux Français, dans les moments de tension, qu’ils auraient prié un autre Dieu si les GI (soldats américains, ndlr) n’avaient pas débarqué en France en 1945. L’objectif du voyage de François Hollande a consisté, entre autres, à peaufiner avec son homologue les règles à ne pas enfreindre et à fixer les limites à ne pas franchir dans le cadre de la nouvelle donne.
3. Le scandale des écoutes n’a-t-il pas aussi assombri les relations entre la France et les Etats-Unis ?
Il était nécessaire de renforcer, après cette maladresse, le partenariat en matière de politique étrangère. Le scandale, qui a semblé assombrir les relations entre les deux pays, ne pouvait que très difficilement rompre les liens historiques franco-américains, dont la profondeur et les intérêts communs ont marqué les grands événements planétaires. De plus, les Etats-Unis et la France ont besoin de s’épauler dans le rôle qu’ils comptent jouer à l’avenir sur le plan mondial. « Alliés, nous l’étions au temps de Jefferson et de La Fayette, alliés nous le sommes encore aujourd’hui […] amis nous le sommes pour toujours », a expliqué François Hollande. Cette déclaration montre que l’affaire des écoutes n’a en rien affecté l’amitié sempiternelle qui lie les deux Nations. Par ailleurs, le voyage de François Hollande a permis d’harmoniser les rapports tendus, ces derniers temps, entre le gouvernement Ayrault et quelques entrepreneurs français très actifs dans la Silicon Valley. Enfin, faisant d’une pierre deux coups, le président français en a profité pour améliorer l’image de la France auprès des entreprises américaines.

4. Barack Obama et François Hollande revendiquent « une relation personnelle de qualité ». Est-ce vraiment le cas, selon vous ?
Les présidents français et américain ne peuvent que s’accorder sur un bon nombre de dossiers – contrairement aux relations entre Ronald Reagan, George H. W. Bush et François Mitterrand – car ils ont en partage l’idéal social-démocrate. Le fait de s’être rendu ensemble dans l’Airbus présidentiel à Charlottesville, en Virginie, est un symbole fort qui confirme la qualité de cette relation personnelle. Aucun président américain en exercice n’a visité Monticello, dans le passé, en compagnie d’un dirigeant étranger. Les passionnés de l’histoire des Etats-Unis savent que l’ancien maître de ces lieux, Thomas Jefferson, fut ambassadeur à Paris et considéré comme l’un des plus francophiles des dirigeants américains au même titre que Gilbert Motier, marquis de La Fayette.

5. La France est-elle devenue le partenaire privilégié des Etats-Unis en Europe ?
Les rapports franco-américains, de Charles de Gaulle à François Hollande, d’Eisenhower à Barack Obama, au-delà de leur diversité et de leurs contradictions, ont toujours fonctionné par rapport aux relations personnelles et aux préventions, selon les circonstances et le pragmatisme, entre l’admiration et une concurrence loyale. Cela a permis aux diplomaties américaine et française de faire des concessions, de trouver des terrains d’entente et d’adapter leurs points de vue en se partageant les rôles, chaque fois que les intérêts communs l’exigeaient. Au moment où Barack Obama a réduit l’effectif militaire dans quelques régions, la « belliqueuse » attitude de François Hollande pourra bien l’arranger.

PROPOS RECUEILLIS PAR ROBERT KONGO, CORRESPONDANT EN FRANCE

(*) Essayiste, acteur politique congolais et ancien cadre du parti socialiste français.

jeudi 13 février 2014

Crimes ethniques ou génocide en RD Congo ?

Le lundi 10 février de cette année, Fatou Bensouda, la procureure de la Cour pénale internationale, a accusé l'ancien chef de guerre Bosco Ntaganda, ainsi que sa milice composée de l’Union des patriotes congolais (UPC) et des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), de crimes « ethniques » dans l’Est de la République Démocratique du Congo. Par conséquent, elle doit convaincre les juges de la solidité de son dossier en vue de l’ouverture d’un procès. La persécution des civils sur « des bases ethniques » n’était pas le fait du hasard dans la mesure où elle visait délibérément la population non-Hema de l’Ituri dans l’optique de faire main basse sur l’Ituri, une région riche en ressources naturelles.
D’aucuns n’ignorent que Bosco Ntaganda doit répondre de crimes contre l'Humanité et de crimes de guerre commis en 2002 et en 2003 en Ituri par les FPLC, dont il était le chef militaire. L’accusation de la procureure Fatou Bensouda à l’encontre du « Terminator des Grands Lacs » nécessite que l’on s’interroge sérieusement sur les raisons qui poussent à privilégier, dans ce cas précis, les crimes « ethniques » au détriment des crimes contre l’Humanité.

Une nouvelle infraction en droit pénal international ?

Crimes « ethniques » ? Est-ce une nouvelle infraction en droit pénal international ? Qu'est-ce qui les différencie de crimes contre l’Humanité ou crimes de génocide ? Ainsi s’est interrogé judicieusement, sur l’espace social Facebook, le journaliste Joël Asher Lévy.
En effet, pourquoi ne doit-on parler de crimes contre l’Humanité, ou crime de génocide, que lorsqu’il s'agit de certaines populations et utiliser le terme exclusif de « crimes ethniques » quand il est question des populations congolaises ? On a l’impression que l’on essaie de minimiser les crimes commis dans la partie orientale de la République Démocratique du Congo pour renvoyer l’ascenseur à quelqu’un qui a tout simplement été mandaté de faire le sale boulot au profit des Etats régionaux, lesquels sont des représentants officieux des puissances économiques extracontinentales.
Ainsi est-il inhumain de vouloir utiliser le droit international pour confiner en crimes ethniques les actes qui relèvent normalement des crimes contre l’Humanité. Rien n’est plus injuste que lorsque la loi génère des injustices, ne cessait de clamer Cicéron.

Le crime contre l’Humanité

Tout le monde sait qu’un crime contre l’Humanité désigne une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». S’il n’existe pas pour les crimes contre l’Humanité de définition généralement admise, en dépit de la complexité quant aux crimes punis sur les plans international et national, on doit néanmoins respecter le principe juridique selon lequel les faits précèdent la loi.
Rappelons que le génocide des Tutsis a été officiellement reconnu, et à juste titre, du fait qu’il fut commis dans le cadre d’une guerre civile ayant opposé le gouvernement rwandais, constitué de Hutus, au Front patriotique rwandais (FPR), considéré par les autorités nationales d’être essentiellement « tusti ». D’ailleurs, l’accusation de la procureure Fatou Bensouda à l’encontre de Bosco Ntaganda repose sur le fait que les actes visant les non-Hema étaient délibérés.

Une tentative d’émigration forcée ou d’extermination

Il est évident que les différentes crises civiles et armées qui déstabilisent l’Est de la République Démocratique du Congo n’est pas du tout étranger aux aspects fonciers. Le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi essaient de s’approprier, par tous les moyens, les régions congolaises riches en ressources naturelles alors que les puissances économiques extracontinentales s’intéressent aux matières premières. Le processus de balkanisation ne peut être atteint que si lesdites contrées sont majoritairement peuplées de populations en provenance des pays aux velléités expansionnistes.
Ainsi faudra-il provoquer soit l’émigration forcée des populations autochtones, soit parvenir à leur extermination. Le fait que les populations congolaises sont tuées du simple fait d’être nées congolaises relève, qu’on le veule ou non, du génocide. Cette logique est à la base, aussi bien dans la région du Kivu que dans la province orientale, des violences sexuelles contre les femmes et les enfants, des violations systématiques des droits fondamentaux de la personne humaine, de la volonté de priver les Congolais d’origine détenant une citoyenneté étrangère de leur nationalité congolaise…

La partialité et la complicité des institutions internationales

Le fait de reconnaître officiellement le génocide congolais risque de mettre en branle toute une mécanique susceptible de clarifier les complicités locales, nationales, régionales, continentales et internationales relatives au génocide commis dans l’Est de la République Démocratique du Congo.
A contrario, le fait de vouloir protéger les auteurs des crimes contre l’Humanité, de s’activer dans des institutions internationales pour réduire les actes génocidaires en banals « crimes ethniques » ne fait que confirmer la partialité de la Cour pénale internationale et la complicité des Nations Unies au détriment de la République Démocratique du Congo en particulier, et des peuples bantouphones en général.
En tout cas, le fait d’avoir été une victime ne doit pas donner le droit de devenir à son tour un bourreau. Cela ne doit en aucun cas octroyer le permis de violer, de piller, d’humilier et de tuer impunément.
Gaspard-Hubert Lonsi Koko