vendredi 10 avril 2009

Les mines du Congo : entre rebelles et multinationales

Un mineur au Congo
Les mines constituent la principale activité économique de Mwenga
Malgré les opérations militaires contre elles, les milices hutues F.D.L.R. contrôlent toujours des mines de l'Est de la République démocratique du Congo, comme le montre ce reportage de Thomas Fessy.

Au sommet d'une montagne du Sud Kivu, un mineur agite sa pelle pleine de roches dans le torrent.

Il cherche de la cassitérite, ce précieux minerai noir et crystalisé dont est tiré l'oxyde d'étain.

Les creuseurs constituent le premier maillon de la longue chaîne du commerce de minerais, l'autre bout étant occupé par les entreprises multinationales.

Un peu moins de 150 kilomètres séparent Bukavu, la capitale provinciale, de Mwenga, chef-lieu du territoire portant le même nom.

Le territoire est largement contrôlé par les milices Hutu des Forces Democratiques pour la Libération du Rwanda (F.D.L.R.).

Ces rebelles Hutu avaient fui dans l'est du Congo après le génocide de 1994, auquel ont participé certains de leurs chefs.

Plus de 800 000 Tutsi et Hutu modérés avaient été tués, mais les Hutu extrémistes avaient finalement perdu le pouvoir et avaient trouvé refuge dans les montagnes congolaises.

Quelques années plus tard certains d'entre-eux ont créé les F.D.L.R., qui demandent l'ouverture d'un dialogue inter-rwandais.

Taxes et mauvais traitements

Des combattants des F.D.L.R
Les rebelles des F.D.L.R se sont réfugiés en RDC après le génocide de 1994

Les récents travaux d'une entreprise chinoise ont amelioré l'état de la piste, jusque-là contrôlée par les bandes armées, mais il faut tout de même quatre heures pour relier Bukavu à Mwenga.

Les mines constituent la principale activité économique du territoire de Mwenga, mais la majorité d'entre elles sont aux mains des F.D.L.R. qui, selon un rapport d'experts de l'ONU publié en décembre dernier, génèrent plusieurs millions de dollars, chaque année, grâce à l'exploitation illégale de ces carrières de cassitérite, d'or et de coltan.

A Mwenga, les rebelles Hutu rwandais viennent vendre et acheter toutes sortes de produits.

Un négociant, qui tient à garder l'anonymat pour des raisons de sécurité, raconte comment il se procure des métaux précieux dans les mines de la région.

« Nous achetons chez les creuseurs, mais pour entrer et sortir de la carrière, nous devons payer les F.D.L.R. C'est une sorte de taxe qu'ils prélèvent pour nous laisser transporter le minerai », affirme-t-il.

« Ils sont armés et nous surveillent. Ils peuvent nous arrêter et dans ce cas nous devons payer plus d'argent », ajoute-t-il.

« Ils peuvent aussi nous garder sous leur lit pendant qu'ils dorment. C'est leur manière de faire. Certains sont meme battus et fouettés ».

Dans la jungle avec les rebelles

Des rebelles hutus F.D.L.R
Les F.D.L.R contrôlent la majorité des mines de Mwenga

Un matin, le commandant de la seconde division des F.D.L.R. du Sud Kivu envoie trois de ses combattants, en civils, au carrefour de la route principale de Mwenga et du chemin qui mène a Kitamba, à deux heures de marche plus haut dans la forêt.

Le chemin est très boueux en raison des fortes pluies.

Au bout d'une demi-heure, nous sommes finalement rejoints par six autres combattants, armés de kalachnikovs et de fusils mitrailleurs.

La plupart d'entre eux portent des uniformes de l'armée congolaise.

Kitamba est l'un des fiefs des F.D.L.R. dans la région, qu'ils contrôlent en grande partie.

Le colonel rebelle, Job Rukundo attend sur le perron d'une église isolée.

Le périmètre est bouclé par des hommes en armes, et je lui demande s'il sait que la population craint son mouvement.

« Ces informations sont fausses et sans fondement », me répond-il.

« Nous n'avons pas de problème avec la population, poursuit-il, mais certains ont choisi le camp de notre ennemi et ceux sont eux qui donnent ce genre d'informations. »

« Sincèrement, les FDLR ne prélèvent pas de taxes et ne sont pas impliqués dans les activités minières. Pour survivre, nous nous arrangeons avec l'agriculture et le petit commerce, pour éviter de demander à la population quoi que ce soit. »

Le commandant rebelle nie également l'existence d'une mine un peu plus haut dans la montagne, mais quelques villageois congolais me guident vers le site en question.

Après une nouvelle heure et demi de marche dans la jungle, nous atteignons finalement une carrière artisanale.

« Je dois donner un kilo de cassitérite aux rebelles chaque semaine ou l'équivalent en argent », indique un creuseur.

Couvert de poussière, alors qu'il sort d'une cave creusée dans la roche de trois mètres de profondeur et soutenue par quelques bambous, il ajoute que tous les mineurs doivent payer une taxe aux F.D.L.R. sous peine d'être arrêtés ou fouettés

Comptoirs d'exportation : l'autre bout de la chaîne

L'entrée d'une mine
Nous vivons comme des étrangers sur notre propre sol.
Un villageois

De retour à Bukavu, la capitale provinciale, les comptoirs d'export reconnaissent ne pas pouvoir remonter l'itinéraire des minerais qu'ils achètent, jusqu'à la mine même.

Mudekareza Namegabe préside l'un des principaux comptoirs, le Groupe Olive, ainsi que la Federation du secteur privé de la province.

Il est cité dans un rapport des Nations Unies comme acheteur de minerais provenant de sites contrôlés par les F.D.L.R.

Il affirme ne pas avoir acheté de cassitérite depuis janvier.

Les négociants sont pourtant formels : ils ont vendu des sacs de ce caillou noir à son comptoir.

«Ce sont des mensonges !», s'exclame Mudekareza Namegabe. «Ce sont eux qui installent la fraude dans le secteur minier ici».

Egalement cité dans le rapport des Nations Unies, le président du comptoir Panju a, lui, refusé de me rencontrer pour répondre à mes questions.

'Comme des étranger sur notre sol'

Une fois concassée, la cassitérite est achetée par les multinationales occidentales.

Ce minerai sert notamment a la construction de boîtes de conserve et de téléphones portables.

Dans l'est du Congo, cette chaîne commerciale permet aux rebelles hutu rwandais des F.D.L.R. de se financer.

«On ne peut rien faire», se lamente un villageois.

«Nous vivons comme des étrangers sur notre propre sol. Le pouvoir est à eux. Qu'est-ce que nous pouvons faire nous autres ? Rien que regarder».

Thomas Fessy

http://www.bbc.co.uk/french/highlights/story/2009/04/090409_drc_minesfdlr.shtml

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