Olivier Chazy : « Le Congo a été humilié et meurtri par les événements
de l’histoire, il se relèvera un jour, nous préparons cet avenir proche. »
Président de l’Association Karibu Kinshasa créée en 2004, vous travaillez en faveur des familles les plus démunies dont les enfants se retrouvent dans les rues de la capitale congolaise. Concrètement, comment intervenez-vous ?
Il faut rappeler qu’ il y a entre 25 000 à 30 000 enfants qui vivent dans les rues de Kinshasa, avec une progression de 3000 nouveaux cas chaque année. La situation est donc grave et hors de contrôle. Il y a trois types de réponses organisées par les associations, et qui sont complémentaires : le soin ambulatoire gratuit avec une aide alimentaire et vestiaire pour les enfants des rues (7000 enfants aidés), l’hébergement par les centres (3500 enfants aidés), l’appui au regroupement familial (cinq associations s’y emploient). Le flux de retour vers les familles organisé par les centres est de 250 mensuel. Si on ne soutien pas ce retour en famille, les enfants rechutent dans la rue, et leur situation devient plus grave encore, car la rupture devient plus profonde. Nous savons que la majorité des enfants sont à la rue parce qu’ils avaient faim dans leur famille et que la taille de la famille, généralement issue d’autres provinces, est trop réduite pour faire face aux graves difficultés rencontrées (décès, accidents de santé, vols). Les croyances en sorcellerie souvent mise en avant, cachent le plus souvent un vol, une jalousie, ou une malnutrition, elles sont surtout des croyances et ne constituent pas la vraie cause du départ des enfants. Notre mission est de restaurer rapidement l’autonomie de ces familles pour qu’elles puissent nourrir, soigner et scolariser leurs enfants sans aides extérieures et durablement. Notre méthode repose sur une série de procédures rigoureuses: diagnostic, formation des mamans, prêts d’un petit crédit, suivi psychosocial, à nouveau formation, avec un suivi très rapproché et global qui inclue la prévention, les droits, le soin. Nous disposons de trois éducateurs de terrain, deux salariés de siège, deux superviseurs en gestion et en droit. Nous intervenons sur trois quartiers Kinbanseke, N’Djili, Masina. Notre siège, volontairement modeste est à Bandalungwa. Nous cherchons l’appui des autorités locales, et sommes en lien avec REEJER, la grande coordination des associations des enfants des rues. Nos procédures de travail sont en permanence réformées grâce aux supervisions et aux audits. Chaque famille est visitée chaque semaine. Les crédits sont de 50 dollars et remboursés en 24 semaines, le taux d’intérêt est de 6 % annuel.
Les résultats de vos actions sont-ils à la hauteur de vos attentes ?
Nous avons ramené plus de 300 enfants dans leur famille avec un taux d’échec de seulement 4% , ce qui est exceptionnel. Le nombre de familles touchées est de plus de 250 et les bénéficiaires indirectes sont au nombre de 1300. C’est beaucoup et c’est peux, par ce que nous ne supportons pas qu’il reste même un seul enfant à la rue. La place des enfants est dans leur famille.
Qui finance Karibu Kinshasa ?
Pendant deux ans nous avons eu un financement de l’ambassade de France. Pour le reste, le financement vient des remboursements des mamans et surtout des dons collectée par notre association sœur Karibu France. Depuis deux ans, nous n’avons aucun financement institutionnel.
Quelles sont les valeurs qui font vivre votre association ?
L’enracinement dans nos valeurs profondes est, avec la compétence technique, et la rigueur de gestion, la condition de la réussite. Nous savons qu’aucun obstacle ne nous arrêtera si nous sommes unis d’un seul cœur et dans un seul but. Nous savons que nous devons mettre notre joie dans la guérison des gens qui souffrent. Nous savons que la lutte contre la misère est un devoir sacré et une loi de l’humanité, qu’elle répond aux commandements des évangiles (Mathieu XXV). Nous considérons que chaque dollar épargné est un dollar sauvé pour une famille qui souffre. Il est arrivé que certains salariés ou administrateurs n’aient pas suffisamment intériorisés ces valeurs et cela a produit des effets très négatifs voire destructeurs. Nous savons que c’est grâce au respect de ces valeurs, à notre détermination, que nous sommes toujours en vie.
Croyez-vous en l’existence d’un monde plus juste et plus humain pour construire l’avenir ?
L’humanité n’a pas le choix, elle est en permanence au bord du gouffre, si elle ne se mobilise pas autour des valeurs de justice et du droit, du respect du pauvre et de la nature, d’honnêteté, au niveau individuel et des institutions, elle sera emportée par des catastrophes majeures. Chacun à le devoir de contribuer a ce monde meilleur, c’est aussi notre mission que nous mettons en œuvre sur le volet humanitaire. Nous adressons un message de combat, oui un autre monde est possible, il est entre nos mains. Le Congo a été humilié et meurtri par les évènements de l’histoire, il se relèvera un jour, nous préparons cet avenir proche. Nos amis de France sont touchés par la misère du peuple congolais et sont heureux d’être solidaires des enfants de Kinshasa.
Propos recueillis par Robert Kongo, Correspondant en France du journal Le Potentiel /Présentateur à la Radio Vexin Val de Seine
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