Après qu’il ait réalisé « Le cycle du serpent », « Les derniers colons », « Nostalgie post-coloniale », « Mobutu, roi du Zaïre » et « Congo River », Thierry Michel poursuit son fascinant travail de cinéaste du réel au Katanga, dans cette province du Sud-Est de la République démocratique du Congo, l’une des plus riches régions du globe en ressources minières. Dans son nouveau film « Katanga business », sorti sur les écrans le 1er avril dernier, le réalisateur belge dépeint, sur fond de violence sociale, la corruption, les tractations. Les acteurs principaux de cette saga africaine sont, avant tout, les « creuseurs » artisanaux, les travailleurs de la Gecamines, le gouverneur charismatique, les patrons belges, les opérateurs chinois, les spéculateurs anglo-saxons … Projeté en première mondiale au Fespaco, le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, « Katanga business » a remporté un vif succès. Thierry Michel sera en tournée au Congo pour présenter son film à partir du 28 juin 2009.
« Katanga business » est le sixième film que vous réalisez sur le Congo. Ce pays vous passionne-t-il toujours autant ?
Effectivement, le Congo est un pays qui me passionne ; je suis passionné par son histoire, par la majesté et la beauté de ses paysages, mais aussi par la diversité des cultures et des habitants de ce pays. J’y ai mis les pieds pour la première fois lors du chaos qu’a connu le Congo, alors Zaïre, à travers les deux premiers pillages en 1991. C’est à cette époque que j’ai commencé à suivre attentivement l’histoire et l’évolution de ce pays. Et surtout, accompagner le peuple congolais dans sa quête d’une seconde libération ou indépendance. Entre 1991 jusqu’à la chute du maréchal Mobutu en 1997, je suis allé souvent au Congo pour couvrir les événements qui ont conduit au changement qui s’y opérait.
Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser ce film ?
Ma démarche a été progressive. Dans mes précédents films sur le Congo, j’ai eu à traiter tous les aspects relatifs à son histoire politique, sociale, culturelle. Mais je n’avais jamais abordé l’économie. Et pourtant, le destin d’un pays ne se joue pas seulement en terme politique ; l’économie est quand même déterminant pour l’avenir et le devenir d’un pays. Ainsi, dans ce film, j’ai voulu comprendre, à partir du Katanga, ce coffre-fort de matières premières, comment l’activité industrielle minière s’articule-t-elle avec l’économie au Congo. Et au-delà de cette thèse, j’ai voulu m’intéresser à l’économie mondiale, notamment à la puissance d’action des multinationales qui imposent leur loi, parfois pour développer des régions ou des pays, parfois pour y organiser un pillage systématique de leurs richesses, naturelles ou minières, en même temps les populations de ces nations croupissent dans une souffrance inhumaine volontairement passée sous silence.
Quelle est la symbolique de l’image du Far West que vous avez choisie pour illustrer l’affiche de votre film ?
Le Katanga est en effet, aujourd’hui, un nouvel eldorado où se joue le Far West. C’est une véritable guerre, pas au revolver comme dans le Far West traditionnel, mais bien une guerre économique à coup d’OPA, de refinancement, de capitalisation, de corruption. Tous les moyens dont on dispose pour s’affirmer économiquement. C’est aussi une guerre sociale redoutable qui se solde par des morts au travail dans ces galeries de creuseurs, ces damnés de la terre condamnés par l’histoire, et qu’on chasse des concessions. Car, comme dans tout western, c’est la loi du plus fort qui règne. Et aujourd’hui, le plus puissant, c’est souvent le plus riche.
Quels sont ces pays qui se livrent à cette guerre économique au Katanga ?
Cette guerre se passe entre les multinationales qui viennent des quatre coins du monde, particulièrement des pays dominants dans l’industrie minière comme le Canada, les Etats-Unis, l’Australie, l’Angleterre, l’Afrique du Sud et la Chine qui, sur le plan économique, se comporte comme un Etat néo-colonial. Les congolais, eux, doivent compter les coups. Si l’Etat congolais était fort, il aurait position d’arbitre et faire monter les enchères, parce qu’il est quand même dommage de constater que les contrats signés ne profitent ni au Congo, ni aux congolais.
Quelle est la place de l’Etat congolais dans « Katanga business » ?
Il est représenté par Moïse Katumbi, le gouverneur de la province du Katanga. C’est le principal personnage de ce film. Il a été élu démocratiquement, il bénéficie d’une popularité exceptionnelle, il est charismatique, richissime. Il est le président du célèbre club de football « le Tout Puissant Mazembe » ; il possède une télévision, des entreprises… Aujourd’hui, c’est l’un des hommes politiques les plus en vue du Congo. C’est une sorte de Berlusconi à la congolaise. Il essaye de gérer l’Etat comme on gère une société privée et derrière lui une population qui l’adule, et même un peu trop. C’est un personnage hautement cinématographique.
Dans votre film, Moïse Katumbi se profile en protecteur du peuple, mais s’efforce aussi de contenir la colère des travailleurs. Ne sert-il pas avant tout les intérêts du monde industriel dont il est issu ?
Indéniablement, Moïse Katumbi est pris entre le marteau et l’enclume : il est à la fois un homme d’affaires, donc il défend les multinationales et leur implantation dans la région, et en même temps, il est un élu du peuple qu’il défend socialement. Ces deux positions ne sont pas faciles à concilier. C’est là que son intelligence ou son habileté politique devra jouer pour arriver à marier l’eau et le feu.
Il y’a d’autres personnages qui jouent également des rôles non négligeables dans le grand Monopoly katangais. Qui sont-ils ?
Autour de Moïse Katumbi gravitent tous ces gens venus des quatre coins du monde. Georges Forrest, véritable patriarche de l’industrie katangaise et incontournable homme d’affaires belge. Le plus puissant du Congo jusqu’il y’a peu. Paul Fortin, un patron canadien, a repris en main l’entreprise publique. Il y a l’homme tout puissant, qui paradoxalement, s’appelle Monsieur Min. Cet ingénieur représente l’Etat chinois qui vient avec la puissance économique. Il vient tel un bulldozer écraser tous les autres grands patrons des multinationales. C’est l’homme que l’on surnomme Monsieur « 9 milliards de dollars ». Il vient non seulement remettre l’industrie minière en état, mais aussi des routes, les chemins de fer, les hôpitaux, les universités…Bref, il vient refaire les infrastructures coloniales. Une opportunité pour le Congo de se reconstruire. Les chinois sont vus en Afrique comme les nouveaux sauveurs.
Que pensez-vous de ce monde d’investisseurs au Katanga ?
Le manque de moyens pour financer la reconstruction industrielle et l’absence des vrais investisseurs et capitalistes congolais obligent l’Etat à faire appel aux investisseurs étrangers. Il ne peut y échapper. C’est une nécessité. L’expérience de nationalisation de l’économie qui a été faite, en son temps, par Mobutu n’a pas été probante : après le départ des investisseurs étrangers, les entreprises avaient fermé, et la misère et le chômage ont accru au Congo. L’industrie minière au Katanga en avait également pâti. Si ces investisseurs étrangers viennent au Congo pour aider ce pays à se développer tout en respectant les contrats signés, le code du travail, le code minier… le problème ne se pose pas. Par contre, si c’est pour travailler dans l’illégalité et profiter de richesses minières, ce n’est pas normal. Il est indispensable d’éradiquer, dans l’industrie minière du Congo, parce que c’est de cela qu’il s’agit, ce qui est illégal : réprimer tous les maffieux, notamment des patrons qui font de l’exportation illégale. L’Etat congolais doit mettre de l’ordre dans l’exploitation minière au Katanga. Il y’a un grand ménage à faire sinon le Congo ne va jamais s’en sortir.
Les critiques disent que votre film est une véritable saga industrielle. Qu’en pensez-vous ?
C’est tout à fait vrai parce que ce film est à la fois une saga industrielle et un peu un thriller économico-politique comme disent les journalistes. C’est vrai qu’il y’a un côté Western, et cela me réjouit parce que j’étais au cœur d’une saga industrielle au Katanga ; j’étais au cœur des choses ; j’ai réussi à approcher certaines vérités. C’est le sens du travail que je fais, et dans le respect aussi du pays où je travaille.
Quels obstacles avez-vous rencontrés pendant le tournage de votre film ?
Je n’ai pas rencontré beaucoup d’obstacles parce que toutes les autorisations m’ont été fournies en bonne et due forme, aussi bien au niveau national que provincial, pour travailler dans la sérénité. Depuis l’avènement de la 3ème République, je n’ai jamais eu des vraies difficultés, à part évidemment, celles du terrain. Car des vieilles habitudes héritées de la 2ème République sont encore présentes : l’intimidation par le service de la police ou de la sécurité, le chantage, les tentatives de corruption… Quant aux tracasseries administratives, elles font partie du quotidien du travail du cinéaste et du journaliste, comme celui de tous les congolais. J’ai partagé le même sort que tout le monde. Mais tout cela ne m’a pas trop affecté parce que j’ai vécu des choses beaucoup plus graves par le passé. Travaillant en toute légalité, un contrôle d’identité ou une interpellation ne me faisait pas peur.
Qui perd, qui gagne au Katanga ? C’est l’une des questions posées dans votre film. Quelle est la réponse ?
Les contrats sont signés, l’économie reprend, l’industrialisation redémarre. Qui va gagner, qui va perdre, c’est maintenant que cela se joue, et tout va dépendre à la fois du contexte politique et économique. Aujourd’hui, il faut que les congolais se défendent. Que les investisseurs viennent, là n’est pas le problème ; mais il faut surtout que les contrats ou les accords à signer se fassent dans la transparence, dans la légalité et dans le respect réciproque des intérêts des uns et des autres, et surtout dans le souci du développement du Congo.
PROPOS RECUEILLIS par Robert Kongo, correspondant en France.
Soure : Le Potentiel
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