mercredi 4 décembre 2013

TABU LEY ROCHEREAU: "LA MORT EST QUELQUE CHOSE DE NATUREL"

Tabu Ley Rochereau à son domicile parisien en mai 2010. Photo: Robert Kongo.
En hommage à Tabu Ley Rochereau, qui nous a quittés samedi 30 novembre , nous publions une partie de l’interview qu’il avait accordée à notre correspondant en France, Robert Kongo. Au cours de cet entretien qui s’est déroulé en mai 2010 à son domicile, en région parisienne, l’illustre disparu évoquait , pour la première fois,  l’évolution de son état de santé,  l’héritage Ley en musique, l’état actuel de la musique congolaise et son regret dans sa carrière de chanteur. L’une des dernières interviews d’un grand artiste qui fait désormais partie de notre mémoire.
Comment allez-vous ?

Comme vous le remarquez, je vais très bien. Tout évolue très bien comme l’attestent les médecins jour après jour. Je n’ai donc pas de soucis à me faire quant à l’amélioration de mon état de santé. Contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, j’accepte cette affection avec bonhomie. La maladie n’est pas un drame ; elle fait partie de la vie. Il n’y a pas de quoi s’étonner ou s’attrister. Je vis cela bien et avec philosophie. Il y a deux étapes dans la vie d’un être humain : la naissance et la mort. Si la naissance est le début de la vie extériorisée, la mort en est la fin. Je n’ai jamais eu peur de la mort. D’ailleurs, pourquoi en aurai-je peur parce que c’est notre destinée à tous ? Nul n’est éternel ici-bas. Pour moi, la mort est quelque chose de naturel.

Vous sentez-vous bien entouré ?

Je suis bien entouré : il y a la famille, les amis et connaissances, des collègues artistes musiciens… qui viennent souvent me rendre visite. Comme vous êtes venu me voir, vous faites partie de mon entourage. Cela me fait énormément du bien. Je suis encore très heureux de l’hommage que m’avait rendu Koffi Olomide à Kinshasa, le 1er mai 2010. C’est avec joie que j’avais suivi ce grand concert à la télévision. Beaucoup d’artistes musiciens -venus d’un peu partout- ont répondu à son invitation. Parmi eux, Pépé N’Dombe, Lutumba Simaro et Sam Manguana. Un régal pour le public qui était venu nombreux écouter les œuvres de leur serviteur. Cela voudrait dire que je suis assez bien entouré. C’est une grâce. Je bénis le Seigneur, mon Berger.

Tous les musiciens Congolais parlent de vous comme une référence de taille, un exemple de professionnalisme sans égal. Qu’est-ce que cela vous procure?

De son vivant, lorsque Wendo avait appris que j’ai chanté « Rochereau muana ya Congo, mokitani ya Wendo » (Rochereau fils du Congo, le dauphin de Wendo) , il parait qu’il était très fâché , et cela se serait passé en direct à la télévision. Il aurait dit : « Ngai nanu nakufi te, ye akende koloba a remplacer ngai » (Je suis encore en vie, comment peut-il prétendre être mon héritier ?). Faudrait-il attendre la disparition de quelqu’un pour lui trouver un successeur ? Pour honorer une autorité ou une célébrité, quelle qu’elle soit, il faut que celle-ci décède d’abord ? Je ne partage pas ce raisonnement. Les Français par exemple, ils n’ont pas attendu la mort de De Gaulle, Pompidou, Mitterrand… voire certains artistes et écrivains pour les honorer ou leur rendre hommage. Des rues, places, avenues et monuments historiques étaient baptisés à leur nom, alors qu’ils étaient encore en vie. Pourquoi cela pose un problème chez nous ? Je préfère que l’on m’honore de mon vivant ; que ma famille et moi-même puissions vivre cette reconnaissance-là. (Cet hommage lui a été rendu en novembre 2012, Ndlr). Que tous les jeunes artistes musiciens se proclament aujourd’hui  héritiers de Tabu Ley Rochereau, ne me gène pas. Au contraire, cela me fait un très grand plaisir, car c’est une marque de reconnaissance. Je les en remercie.

Lequel a hérité de votre professionnalisme, selon vous ?

Ils sont nombreux, et tout le monde se dispute être le dauphin de Rochereau. C’est tant mieux. Mais je n’ai pas de préférence particulière. Je félicite et encourage celui qui essaye de faire toujours mieux que l’autre. C’est cet esprit d’émulation qui prévalait entre Franco et moi. Je souhaite ardemment que nos jeunes musiciens s’en inspirent.

Quel regard portez-vous sur la musique congolaise d’aujourd’hui ?

J’ai toujours évité d’émettre un avis personnel sur la musique congolaise telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Cela risque d’être mal interprété. Simplement, je conseillerai aux jeunes de travailler à fond leurs œuvres ; qu’ils mettent à profit leur talent et qu’ils aient l’amour de ce métier. Aussi, doivent-ils avoir présent à l’esprit qu’une œuvre se réalise en équipe, de la création à la production. Ainsi, il faut qu’ils sachent entretenir des relations humaines. Un peu d’humilité dans le travail ne leur ferait pas du mal.

Quel est votre plus grand regret dans votre carrière de chanteur ?

J’ai vécu 9 ans aux Etats-Unis. J’y ai côtoyé la famille de Michaël Jackson, ses frères, sœurs et lui-même. Ils venaient chez moi, et ils m’invitaient chez eux. Mon seul regret est de n’avoir pas eu l’occasion de produire un concert avec Michaël Jackson. Aujourd’hui, ce rêve est irréalisable parce qu’il n’est plus de ce monde. De toutes mes compositions, c’est la chanson « Marie Clara » qu’il aimait le plus, et je l’ai su au cours d’une soirée que nous avons passé ensemble chez « Mama Patience » à Hollywood. (Avec le talent qu’on lui reconnaît, Rochereau fredonne le refrain de « Marie-Clara »).

Un dernier mot ?

Que Dieu bénisse la République Démocratique du Congo.

© Le Potentiel

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