Dans un article paru récemment, il était surtout question de l'éventuelle promulgation du projet de loi électorale modifiant la loi N° 06/006 du 9 mars 2006, telle que modifiée par la Loi N° 11/003 du 25 juin 2011, qui a été votée en seconde lecture dans la nuit du 25 janvier 2015 en session extraordinaire par l’Assemblée nationale. Or, après le vote par les députés du texte amendé en amont au Sénat, Joseph Kabila a dans la foulée promulgué en catimini, peut-on lire sur le site de La Tempête des Tropiques, la loi électorale portant création et organisation de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Une loi dont le projet, pendant son examen dans les deux chambres du Parlement, avait divisé la classe politique.
Une promulgation à la sauvette
On ne peut que s’étonner de la rapidité avec laquelle Joseph Kabila a promulgué une loi injuste, qui n’aurait pas dû être votée en l’état par le Parlement à cause des dispositions contraires à l’égalité des Congolais. Comment le magistrat suprême, qui plus est le garant de la cohésion nationale, a-t-il pu juger un tel texte conforme à la Constitution ? A-t-il réellement consulté la Cour constitutionnelle, pour avis, avant de prendre une décision aux perspectives incertaines pour le peuple congolais et la République Démocratique du Congo ? Dans l’affirmative, la Cour constitutionnelle s’est-elle prononcée en toute indépendance ? Le Chef de l’Etat, en ayant promulgué dans un temps record et en toute discrétion ladite loi électorale, a-t-il voulu décrisper, lui aussi, la situation déjà très tendue dans le pays au point de susciter l’inquiétude de la communauté internationale ? En tout cas, avec du recul, on comprend mieux les motivations ayant poussé le gouvernement en place à Kinshasa à procéder, dans l’urgence, à la coupure de l’Internet et à la suspension des services du SMS.
L’inconstitutionnalité de la loi promulguée
Il est évident que la coupure de l’Internet et la suspension des SMS n’ont aucun lien avec une éventuelle détermination du Chef de l’Etat de décrisper l’atmosphère au plan local et de rassurer l’opinion internationale. Cet acte est plutôt le résultat d’une démarche ayant consisté à faire passer inaperçue la frustration générée par le double échec relatif à la non-révision de la Constitution et à la déconnexion de la loi électorale des élections présidentielle et législatives. La précipitation dans la promulgation de la loi électorale portant création et organisation de la Commission électorale nationale indépendante est surtout due à la volonté manifeste d’empêcher les populations congolaises, lesquelles se sont opposées avec véhémence dans la rue au point d’obtenir l’amendement par le Sénat du projet gouvernemental, de manifester de nouveau leur mécontentement.
De toute évidence, la loi promulguée à la sauvette par le président de la République Démocratique du Congo viole directement les articles 11, 12, 13 et 66 de la Constitution du 18 février 2006 relatifs à la dignité et à l’égalité en droits, à l’égale protection des lois, à la non-discrimination des Congolais en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques, ainsi qu’au respect mutuel. Cette décision porte également atteinte, par ricochet, aux articles 69 et 220 de la Constitution relatifs à la sauvegarde de l’unité de la République et de l’intégrité du territoire, ainsi qu’à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Par conséquent, le président de la République n’est plus l’arbitre au sens de l’articles 69 de la Constitution relatif à l’unité nationale et au respect de la Loi fondamentale.
Le mensonge d’Etat
Il n’y a pas que l’alinéa 3 de l’article 8 du projet gouvernemental qui posait problème. D’autres dispositions dudit texte, voté par le Parlement en seconde lecture, sont aussi contraires à quelques dispositions de la Constitution du 18 février 2006. Comment le Parlement, la Cour constitutionnelle et la présidence de la République n’ont-ils pu réaliser qu’ils ont voté, adoubé et ratifié une loi portant les germes de la discrimination et de l’exclusion ? Aussi bien le vote du Parlement et l’attitude peu contestataire de l’opposition institutionnelle après la signature du décret présidentiel contribuent, à n’en pas douter, à une mascarade orchestrée par la classe politique pour masquer le mensonge d’Etat dont les retombées seront à court terme l’incohésion nationale et, à moyen terme, l’explosion de la République Démocratique du Congo. En réalité, la promulgation non médiatisée de ladite loi électorale en vue de son application a tout simplement consisté à dissimiler, à dessein, les faiblesses du régime kabiliste et la crainte d’un soulèvement populaire. Quelle solution reste-t-il au peuple congolais pour prendre en main son destin et consolider le devenir de la République Démocratique du Congo, dès lors que le Chef de l’Etat a promulgué sans trompette et sans tambour, avec l’aval de la Cour constitutionnelle et la complicité du Parlement, une loi inique ? Comment peut-on ignorer, à l’instar du grand socialiste Jean Jaurès, que « la patrie a bien plus de profondeur organique et bien plus de hauteur idéale », qu’« elle tient par ses racines au fond même de la vie humaine et, si l’on peut dire, à la physiologie de l’Homme » ?
La très lourde responsabilité du peuple congolais
Force est de constater la gravité de la situation, à partir du moment où les institutions de la République complotent sciemment contre les populations qu’elles doivent en principe servir. Le magistrat suprême, garant de l’égalité de tous les Congolais et de l’intégrité du territoire national, ayant préféré cautionner un texte qui viole la Constitution sous la bénédiction du Parlement et de la Cour constitutionnelle, l’opposition institutionnelle aurait dû sensibiliser davantage les populations contre les méfaits de cette loi de discorde au lieu de se contenter de crier victoire parce que l'article l’article 8 a été amendé. Dans pareille circonstance, il ne reste qu’une seule possibilité au souverain primaire pour faire triompher l’ordre républicain.
En effet, contraint de s’appuyer sur l’article 64 de la Constitution lui permettant de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui exerce le pouvoir en violation des dispositions constitutionnelles, il revient à la majorité populaire de rétablir l’Etat de droit par le truchement de la désobéissance civile. Tant qu’elles n’agiront pas de la sorte, les forces vives de la Nation porteront la très lourde responsabilité de la soumission des populations congolaises à une minorité, animée du seul intérêt privé au détriment de l’intérêt public, et de l’éclatement de la République Démocratique du Congo. « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. » Les Congolaises et les Congolais doivent méditer sérieusement, comme l’a fait le peuple burkinabè, cette citation de l’avocat et homme politique français Maximilien Marie Isidore de Robespierre. Ils doivent impérativement saisir la véritable portée de la pensée jauressienne selon laquelle « la liberté, c’est l’enfant de la classe ouvrière, née sur un grabat de misère, et de mine chétive encore, mais qui porte en soi une incomparable vitalité secrète et dont le regard de flamme appelle la liberté d’un nouveau monde ».
Gaspard-Hubert Lonsi Koko
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