Entre la grève des magistrats, l’emprisonnement de quelques opposants non corrompus, les arrestations arbitraires des journalistes et des acteurs de la société civile, la partialité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI)..., la crise constitutionnelle et institutionnelle en cours sapent de plus en plus le moral des tenants du pouvoir en place en République Démocratique du Congo. Après que le peuple burkinabè est descendu dans la rue et mis un terme au long règne de Blaise Compaoré, ayant évité dans la foulée une révision constitutionnelle au profit de la nomenklatura déchue, les autorités congolaises essaient de trouver la parade idéale pour se maintenir aux affaires au-delà des échéances légales. A cet effet, ils comptent sur l’insécurité dans la région du Kivu et l’ambiguïté, voire la complicité, de quelques opposants.
La mauvaise foi du M23
Le vice-Premier ministre et ministre de la Défense nationale, Alexandre Luba Ntambo, a déploré lors d’une visite de travail le 7 novembre dernier l’attitude des ex-combattants du M23[1]. De plus, ces derniers ont émis des réserves quant à l’appel du gouvernent à propos de leur regroupement au centre de transit et d’orientation de la base militaire de Kamina dans le Katanga. Aux dires du ministre, les anciens rebelles, qui en réalité ne souhaitent pas du tout franchir le pas, s’inquiètent de leur sécurité loin de leurs parrains rwandais et ougandais. Plus précisément, ils ne sont pas d’accord sur le fond avec les modalités pratiques de leur réinsertion sociale dans le cadre de l’opération « Démobilisation, désarmement, rapatriement, réinstallation et réinsertion » (DDRRR). Ainsi préfèrent-ils rester dans la région du Kivu, notamment à Goma où ils ne sont pas inquiétés, plutôt que de se rendre à Kinshasa où ils n’ont aucune maîtrise sur le plan sécuritaire. Ce fallacieux prétexte a justifié leur absence des récents travaux du MNS[2], institution chargée de la mise en œuvre des déclarations de Nairobi par lesquelles Kinshasa et le M23 avaient enterré la hache de guerre en décembre 2013 après la victoire des troupes gouvernementales sur la rébellion. En tout cas, force est de constater que le rapatriement en République Démocratique du Congo de quelques milliers de rebelles démobilisés du M23 piétine, plus d’un an après leur cuisante défaite.
La problématique des FDLR
Des supposés rebelles des FDLR[3] sont accusés d’avoir tué, du 3 au 5 novembre, 13 personnes et violé une dizaine de femmes dans les localités de Misau et Misoke, en territoire de Walikale dans le Nord-Kivu. Conscients de fragilité de la situation dans cette région, les chefs d’Etats et des gouvernements de la CIRGL[4] et de la SADC[5] avaient lancé en août dernier à Luanda un nouvel ultimatum jusqu’au 31 décembre 2014 aux FDLR, vivant depuis 20 ans sur le sol congolais, pour qu’ils déposent volontairement les armes et acceptent d’intégrer le processus de DDRRR. Par conséquent, la CIRGL et la SADC ont fixé au 2 janvier 2015 la date butoir pour entamer la traque de ces rebelles rwandais qui se montreraient réfractaires au processus de démobilisation. Une chose est certaine, le Forum des parlements des pays membres de la CIRGL se dit préoccupé par l’ampleur des violations des droits de l’Homme et des violences sexuelles dans la région du Kivu.
La complicité des voisins
En début novembre 2014, les organisations membres du Groupe de travail sur le suivi de la mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba et la résolution 2098 du Conseil de Sécurité des Nations Unies avaient accusé le Rwanda et l’Ouganda de continuer d’héberger les ex-combattants du M23, une année après leur défaite au Nord-Kivu. Ainsi l’exécutif onusien a-t-il insisté, le 5 novembre dernier, sur la nécessité d’accélérer « la démobilisation permanente » de ces anciens combattants et souhaité que « toutes les parties lèvent les obstacles au rapatriement » de ceux qui sont stationnés en Ouganda et au Rwanda. De plus, la présence de ces ex-combattants dans les pays voisins constitue une réelle menace pour la sécurité de la République Démocratique du Congo.
Diverses incertitudes
Selon le coordonnateur du MNS, François Muamba Tshisimbi, Kinshasa propose d’accueillir les éléments du M23 dans un camp militaire à plus de 1 000 km de la zone de la province du Nord-Kivu où la rébellion a combattu. Or, tout le monde sait que ces anciens rebelles ne défendent que la cause des populations rwandophones basées dans l’Est congolais, dont ils déplorent la marginalisation et dont ils disaient assurer la défense face aux milices congolaises et étrangères encore présentes au Nord-Kivu. Le maintien de ces éléments dans la partie orientale ne fera que renforcer leur proximité, donc la connivence avec leurs protecteurs rwandais et ougandais. Ainsi la balkanisation de la République Démocratique du Congo restera toujours d’actualité, tout comme l’éventualité de l’autonomie de la région du Kivu ou son annexion par le Rwanda et l’Ouganda.
Par ailleurs, sachant que le pouvoir en place en République Démocratique du Congo est tenté par la révision des articles 101 alinéa 6, 104 alinéas 5 et 8, 197 alinéa 4 et 198 alinéa 2 relatifs aux élections des députés provinciaux, sénateurs et gouverneurs de provinces, ainsi qu’à la durée du mandat présidentielle, il est évident que les manœuvres de la CENI[6] visent avant tout à retarder les élections locales et régionales prévues en 2015 dans l’optique de repousser, de facto, les élections législatives et présidentielle de 2016. Cela permettra de prolonger le mandat présidentiel, en cas d’échec des subterfuges électoraux. Il en sera de même de la déstabilisation de la partie orientale du pays, laquelle pourra fournir une belle occasion de décréter pour une durée indéterminée l’état d’urgence ou l’état de siège, voire de déclarer la guerre, conformément aux articles 85 et 86 de la Constitution congolaise. Ainsi le président de la République détiendra le plein pouvoir au-delà des échéances électorales.
Il est plus que jamais urgent de tout mettre en œuvre pour éviter, en République Démocratique du Congo, le vide constitutionnel et la crise institutionnelle ainsi que le maintien au pouvoir faute d’élections, conformément à l’article 70-2 de la Constitution, s’agissant de l’installation effective du nouveau président élu. Le peuple congolais est donc condamner à se prendre en charge, à n’importe quel sacrifice et quel prix, afin d’imposer les grandes orientations de son avenir. De toute évidence, un air de Bérézina flotte dans les esprits d’un bon nombre d’acteurs socio-politiques congolais. Il suffit seulement que l’homme et la femme de la rue le mixent au rumba pour que l’ambiance, cette sorte d’égrégore, puisse enfin prendre une dimension tout à fait patriotique.
Gaspard-Hubert Lonsi Koko
© Atelier des Médias
Notes
[1] Le Mouvement du 23 mars.
[2] Le Mécanisme national de suivi et de supervision en République Démocratique du Congo de l’accord-cadre d’Addis-Abeba.
[3] Les Forces démocratiques de libération du Rwanda.
[4] La Conférence internationale pour la région des Grands Lacs.
[5] La Communauté de développent d’Afrique australe.
[6] La Commission électorale nationale et indépendante.
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